Réal Demers
Laval
[La 1er : « lettre d’amour d’un grand-papa à ses
enfants et à ses petits-enfants devenus grands » est parue dans le
Réflectivité #297, juillet 2016 ; La 2e : dans le
Réflectivité #298, septembre 2016]
Le « Château de l’oiseau blanc », caché au fond d’une vallée, au milieu des neiges éternelles, parmi les plus hautes montagnes, joue à cache-cache avec ceux qui le cherchent. La pureté de l’air qu’on y respire récompense l’effort de l’avoir cherché, mais comme un mirage, il est toujours caché derrière une crête que nous n’avons pas encore contournée.
Puisque
personne ne l’a jamais vu, toutes les hypothèses sont encore valides. On peut
lui donner la splendeur qu’on veut ; il peut ainsi servir de modèle aux
pâles réalisations qu’on en fait, belles tant qu’on ne les a pas complètement
bâties, bien limitées dès qu’on déclare les avoir terminées. C’est toujours la
partie inachevée qui donne de la beauté à l’ensemble.
Tout
rêve est plus grand que sa réalisation, mais, sans rêve, il n’y a aucune
réalisation. C’est là la beauté de chaque être humain : il est plein de
rêves et il a construit, avec le temps, quelques ébauches découlant de ses
rêves, juste assez pour entrevoir ce qu’il pourra faire, plus tard, dans un
temps à venir.
Ce
n’est pas moi qui, le premier, ai parlé du Château de l’oiseau blanc, mais je
suis emballé par ce qu’il nous fait comprendre. En raison du nombre
incalculable de siècles où les humains ont rêvé, parlé de leurs rêves aux
autres, réalisé en partie ce qu’ils avaient imaginé, il est bien improbable
qu’à notre époque on trouve un lieu où personne n’a jamais accédé avant nous.
C’est
donc avec grand plaisir que j’emprunte les sentiers des autres, quand le
paysage est beau, qu’il a un aspect champêtre, qu’il me pousse au dépassement
par l’effort qu’il m’impose et qu’il offre le plaisir de respirer l’air pur des
hauteurs.
Les
sentiers auxquels je pense offrent de nombreuses haltes, mais jamais de fin. Même
s’ils ne sont pas neufs, même s’ils sont anciens au point de ne pas savoir
quand ils ont été parcourus pour une première fois, le regard que j’en ai est
toujours neuf. Ainsi, le sentier où partent mes pas renaît encore, neuf comme
autrefois tout en gardant la variété des perceptions de ceux qui l’ont parcouru
au cours des âges.
Cependant,
les chemins des autres c’est beau, car cela nous évite les écueils que les
autres ont contournés, mais ont ainsi confinés aux objectifs de ces derniers
qu’ils ont poursuivis pour leur propre bien.
Mais,
tôt ou tard, il finit par arriver que je sente le besoin d’aller où il n’y a
plus de sentier, là où les hautes herbes et les fougères ne se rangent pas sur
le côté pour me laisser passer. Même si les sentiers des autres sont vécus
différemment par moi, ils me conduisent là où les autres avaient besoin d’aller ;
il me faudra, un jour ou l’autre, m’aventurer là où personne n’est venu, au
moins, là où le passage est assez ancien, là où les herbes et les fougères ont
repris toute la place.
*****
Les
vaines recherches incitent à chercher encore et encore, car, lorsqu’on a
trouvé, on cesse de chercher. Les vaines recherches aiguisent l’imagination,
fouettent l’ardeur, donnent au visage un rayonnement qui jaillit de l’intérieur
et illumine le milieu ambiant. Les vaines recherches gardent notre âme jeune,
même si le corps se voûte avec le temps et la peau se plisse comme l’écorce
d’un vieil arbre. Les vaines recherches nous poussent à aller plus loin ;
les recherches, tant qu’elles sont vaines, nous incitent à suivre le filon, à y
mettre une attention accrue, à mieux nous préparer pour la suite des choses.
Finalement,
la quête de sens ne se révèle qu’après avoir parfois longtemps erré, que
pendant une pause que nous avons dû prendre, faute de savoir où aller. Il se
peut alors que les réponses que nous cherchions dans l’agitation se révèlent à
nous, à la manière d’une illumination, conscients que notre action, loin de
nous y avoir conduits, nous a probablement empêchés de les recevoir. L’action
nous y prépare, mais c’est sans le silence du repos que les réponses arrivent.
Cela
se passe un peu à la manière de celui qui conduit son auto : pendant que
les sinuosités de la route requièrent toute son attention, il ne peut, en même
temps, admirer le paysage. On peut accéder à un beau paysage par la conduite en
auto, mais une fois arrivé, il faut s’arrêter pour en contempler toute la
beauté.
*****
Il
m’est souvent arrivé de voir un oiseau blanc, est-ce l’oiseau blanc du château ?
Je ne le sais pas, mais je l’espère ! Je guette ses allées et venues y
cherchant une direction à prendre, mais le château demeure toujours dans le
futur, dans l’imaginaire du futur.
Parfois,
plusieurs jours passent sans oiseau blanc, puis le revoilà quand je ne
l’attends plus : il a l’air de savoir que je le regard, il me semble que
son vol est alors plus léger, qu’il effectue un ballet dans les aires justes
pour que je le regarde plus longtemps.
Mais
si la présence de l’oiseau blanc n’était pas une invitation à le suivre ;
si, au contraire, l’oiseau blanc me révélait par sa présence que le château est
ici, qu’il le voit et qu’il veut me le montrer. En effet « le Château de
l’Oiseau Blanc » est invisible et inaccessible, parce que celui qui le
cherche s’y trouve déjà. Comment pourrions-nous voir la maison dans laquelle
nous demeurons ? Posté à la fenêtre, l’observateur découvrira un arbre,
une rivière, un paysage. À l’intérieur, seuls les murs, le sol et le plafond
seront visibles, mais pas le Château. « Le Château de l’Oiseau Blanc est
en nous. (…) Il a toujours été là » (Cosey, 1981, dans « Kate »,
la 7e BD de la série Jonathan).
*****
On
a souvent tendance à chercher à l’extérieur ce qui est en nous, à nous lancer
dans l’action afin de mieux comprendre notre être, à courir après des plaisirs
à la recherche de bonheur, à couvrir de bruits notre silence intérieur, à
s’imaginer que la vie est action tandis qu’elle est d’abord être.
L’action
est nécessaire au mieux vivre, mais elle ne doit jamais se substituer à la
contemplation ; l’action ne prend son sens que pour mettre en œuvre ce qui
a d’abord été contemplé dans la sérénité de son cœur.
Il
y a un paradoxe dans le fait qu’une quête extérieure nous ramène inlassablement
vers l’intérieur, que c’est dans l’agir qu’on découvre l’être. C’est le « Je
pense donc je suis » de Descartes qu’on exprime chaque jour de notre vie. L’être
se contemple quand on est dans un état passif réceptif. En effet, la contemplation
n’est possible que dans le silence de son cœur, elle est antérieure à la pensée
qui est déjà un début d’action, cette dernière étant l’ébauche d’un plan qui
peut aboutir en gestes concrets de réalisation.
C’est
dans l’action qu’on se révèle à soi-même et aux autres, qu’on révèle notre
être, car sans être, il n’y aurait pas d’action. Mais, même si l’action révèle
notre être, ce dernier reste toujours insaisissable. C’est notre château en
croissance dont la splendeur est surtout due à son devenir, c’est notre
forteresse inexpugnable en raison des frontières du moi, c’est notre jardin
secret en gestation de la vie future qui, comme une fleur, s’épanouira en son
temps.
Quand
on cherche à saisir l’être, on touche à la matière par laquelle il s’exprime,
mais on n’arrive pas à le saisir. C’est seulement par la contemplation qu’on
peut percevoir l’être ; si on aime quelqu’un pour lui-même, on comprend
cela !
Réal